Une interview réalisée par Mme Dispa au sujet du Jardin Animé, dans le cadre du Fonds De Coninck.

L’hortithérapie, vous connaissez? Quand Anne-Claire Orban a commencé à la pratiquer, elle ne connaissait même pas le mot. Elle savait seulement qu’elle devait mettre du vert dans sa vie et dans celle des autres. Et, grâce au Fonds, elle y a réussi.

Elle n’est pas médecin, même si elle est issue d’une famille de médecins. Elle n’est pas non plus psychologue. Spécialisée en anthropologie médicale, elle a commencé sa vie professionnelle par un job de chargée de recherche chez BePax, où elle a étudié l’impact du racisme sur la santé des personnes qui en sont victimes. Et puis, à l’occasion d’une pause wwoofing avec son compagnon, elle a découvert l’élément qui manquait à sa combinaison santé + social : la nature.

La nature avant toute chose
« Pendant six mois, nous avons habité une cabane au fond des bois, dans le Lot en France, et nous sommes devenus des wwoofeurs, travaillant bénévolement dans de petites exploitations agricoles à échelle humaine, afin de nous reconnecter à la terre. Quand nous sommes rentrés à Bruxelles, ma perception des choses avait changé, et j’avais un nouveau besoin : associer la nature à ma pratique professionnelle. J’avais l’intuition que le lien avec la nature pouvait être utilisé dans les problématiques sociales ! » Une intuition confirmée depuis longtemps aux États-Unis et au Canada, où les premières recherches sur l’hortithérapie remontent aux années 1970. En France, l’approche ‘naturelle’ des soins de santé est actuellement en plein essor, mais, en Belgique, elle reste méconnue.

À l’instinct
« Au départ, je n’ai pas cherché ce qui se faisait ailleurs, avoue Anne-Claire Orban. J’ai seulement suivi mon instinct… » Le résultat, c’est le Jardin animé *, dans la campagne namuroise : un jardin à visée thérapeutique, conçu pour éveiller les sens et favoriser les interactions avec l’environnement. Car l’hortithérapie n’est pas synonyme de jardinage, même si la culture des plantes, ornementales ou autres, et même des légumes en fait partie intégrante. Destinées en principe à des publics fragilisés – demandeurs d’asile, adultes déficients mentaux, jeunes autistes, malades chroniques… – les diverses animations organisées dans cet espace sont avant tout des propositions, adaptables aux besoins des participants.

Premiers chantiers
« Nos premiers ‘chantiers au jardin’, en 2019, ont accueilli des demandeurs d’asile, en collaboration avec les centres Croix-Rouge de la région. Parce qu’à cette époque où tout était ralenti pour tout le monde, les personnes en situation d’exil étaient encore plus à l’arrêt que les autres. Les visites au jardin les apaisaient. D’autant que beaucoup avaient été en contact avec la nature dans leur pays d’origine, avec des parents qui travaillaient la terre, un jardin, des poules… La plupart avaient des expériences à raconter, évidemment très différentes des nôtres, notamment dans leurs rapports avec les animaux – mais c’est ça qui est riche ! »

Bien dormir
La pandémie est finie, mais les demandeurs d’asile sont toujours les visiteurs les plus assidus du Jardin animé. « Mis à l’écart du monde dans les centres, ils ont besoin de se rendre utiles, cultiver, planter, construire des bacs potagers pour des personnes handicapées ou des enfants. Mais le Jardin, pour eux, c’est surtout une occasion de sortir de leur centre, de prendre l’air, de souffler. Beaucoup me disent qu’après l’activité, ils ont bien dormi. Et, quand on sait que, dans les centres, le sommeil est un problème quotidien, cette réflexion est un véritable indicateur de réussite ! De plus, leurs visites au Jardin leur permettent de rencontrer des gens qui ne les renvoient pas systématiquement à leur identité de migrants, qui se préoccupent d’eux d’une autre manière… Il leur arrive de m’envoyer un message, juste pour dire qu’ils ne vont pas bien. Ils n’attendent rien d’autre de moi, mais, quand ils ont un coup dur, ça les encourage de savoir qu’ils existent pour quelqu’un en dehors de leur centre… »

Coup de bêche
Mais la force du Jardin, c’est qu’il n’est réservé à personne : tous ceux et celles que la nature peut aider, même à leur insu, y sont les bienvenus. « Là encore, j’ai suivi mon intuition : j’ai pris contact avec différentes structures de santé mentale, en expliquant que nous organisions des ateliers au jardin, mais sans parler de thérapie… »  L’Accueil Mosan, centre d’accompagnement et d’hébergement de personnes en situation de handicap, vient deux fois par mois depuis bientôt deux ans. « Il m’a fallu plus de six mois pour comprendre ce qui pouvait plaire aux membres de ce groupe. L’un d’eux, en particulier, refusait de participer aux activités, se contentant de regarder les autres. Mais, quand je lui ai demandé de m’aider à bêcher, il a dit oui tout de suite. Par après, je lui ai systématiquement proposé des tâches physiques, et ça a beaucoup amélioré sa perception de lui-même, avec le côté ‘Je suis le costaud du groupe’… Même chose pour un garçon lourdement trisomique, qui ne s’entretenait avec personne. C’est chez nous qu’il s’est mis à parler – à un agneau nouveau-né, d’abord, et dans une langue inconnue – mais, au Jardin, quelque chose s’est débloqué ! »

Reconnexion
Les patients du centre neuropsychiatrique Saint-Martin à Dave comptent également parmi les ‘clients’ du Jardin. « Pour moi, ce qui importe surtout quand ils viennent, c’est de les reconnecter à leur propre corps. Ils peuvent à nouveau goûter et toucher des choses dans un environnement qui n’est pas aseptisé. En novembre dernier, dans un groupe, il y avait un participant qui avait de gros problèmes dentaires. Je faisais goûter aux autres différentes variétés de pommes du jardin, et il a fini par se laisser tenter, il en a mangé un petit bout, et puis il en a redemandé, et il m’a dit ‘Ça fait des années que je n’ai plus mangé de pommes’. Ça le reconnectait à lui-même, à son enfance, à ses émotions… En fonction du public, nous proposons différents types de reconnexion… »

Bain de forêt
Les écoles aussi profitent des bienfaits du jardin. « Avec les plus jeunes, on fait du soin aux animaux – nous avons des poules, des lapins, des moutons et des ânes – afin de les amener à se concentrer sur autre chose qu’eux-mêmes. C’est une approche qui leur parle ! » Par ailleurs, dans le cadre d’une semaine ‘hygiène du corps’ avec l’enseignement secondaire spécialisé à Namur, nous avons reçu un groupe de jeunes de 18 à 21 ans, carrément hyperactifs, qui ne prêtaient attention à rien. « Nous avons eu l’idée de leur faire prendre un bain de forêt, les yeux bandés, en se focalisant sur les sons… et ça a merveilleusement bien marché ! Non seulement ça les a calmés, mais ça a créé une vraie relation entre nous… C’est ça le travail d’hortithérapie : comprendre les besoins et les capacités des membres d’un groupe, puis transformer leurs objectifs thérapeutiques en objectifs jardin, en créant des animations qui répondent à leurs attentes. »

Chez moi
Parfois, d’ailleurs, c’est le groupe qui prend le pouvoir. « En novembre dernier, nous avons organisé, avec le centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Jambes, un week-end autour de la cuisine. Résultat : il n’y avait que des femmes, avec leurs enfants, et, comme aucune ne parlait français, l’animation s’annonçait mal. Mais, en fait, les femmes se sont approprié le week-end, qu’elles ont entièrement passé en cuisine. Comme j’avais amené ma fille d’un an et demi, ça a créé du lien, parce que ces femmes sont mamans avant d’être demandeuses d’asile, et j’ai laissé la dynamique de groupe se faire… Nous avions prévu des activités, mais nous y avons renoncé, car ce qui était important pour elles, c’était de cuisiner ensemble. De recréer un bout de Syrie. Dans ce contexte, nous avons dû revoir notre conception du temps et du repas : on ne mange pas à heure fixe, on mange tout simplement quand la nourriture est prête. Nous étions un peu paumés, mais nous étions là pour elles, et c’était bien ! D’autant qu’en partant, une des femmes nous a dit : ‘Depuis le temps que je suis en Belgique, c’est la première fois que je me sens chez moi !’»

Temps lent
Une autre conception du temps, c’est aussi ce que les personnes en burnout viennent chercher au Jardin. « Ce que nous voulons, c’est qu’elles se reconnectent au temps, mais à un temps lent. On parle de tempus et de chronos : chronos, c’est le temps que les êtres humains ont inventé, et tempus le temps subjectif, le temps que nous prenons pour faire les choses au-delà de la hâte, du stress et des obligations. Les ateliers, chacun les vit à son rythme, il n’y a que moi qui regarde l’heure, et souvent les visiteurs s’étonnent : ‘Ça a passé tellement vite !’ Le rapport au temps, c’est d’ailleurs un thème que je voudrais creuser dans mes recherches : comment se déconnecter du temps mondialisé ? »

Appel à projet
Anne-Claire Orban, en effet, ne fonctionne plus seulement à l’intuition. Grâce au Fonds Dr. Daniël De Coninck, elle a pu développer son jardin thérapeutique, et surtout se professionnaliser. « Dès que j’ai vu l’appel à projet des bourses du Fonds De Coninck, j’ai tout de suite pensé à l’opportunité potentielle de développer cette discipline… A vrai dire, je n’y croyais pas trop en soumettant le dossier. J’avais peur que le projet soit trop innovant. Puis au premier entretien, j’ai senti que cela collait bien et qu’il y avait une chance ! Quelle aubaine pour le projet ! Ce fonds m’a permis de financer une partie de mon temps de travail en recherche appliquée, mais aussi deux formations certifiantes dans le domaine : l’une en hortithérapie en France, et l’autre en encadrement scientifique pour la santé mentale en contexte de précarité, à l’UCL. »

Pour tout le monde
Ces deux formations donnent du poids à sa pratique. « Prochainement, je vais d’ailleurs publier un premier article via l’UCL. Sans le soutien du Fonds, cela n’aurait pas été possible! J’ai désormais ce regard théorique qui me manquait sur ce qu’on appelle aussi la jardinothérapie, et qui est une discipline à part entière, qui apaise, déstresse et assure une prise de confiance. En France, elle se développe progressivement, mais surtout pour les maisons de repos et les hôpitaux psychiatriques, donc pour des personnes institutionnalisées et vulnérables. » Une limitation dont elle ne veut pas pour le Jardin animé : « Notre pari, c’est que les bienfaits de l’hortithérapie concernent tout le monde ».

Adaptabilité
Un pari que la Fédération des Psychologues de Namur est prête à relever avec elle.  « Ils m’ont dit combien ils appréciaient de rencontrer des personnes qui n’ont pas fait la psycho, mais qui pensent la psyché. Qui ont une approche différente du soin, de la santé mentale… » L’ADN du Jardin animé, c’est l’adaptabilité. « J’aime dire que l’asbl n’est pas un lieu, mais une approche et une méthodologie. Et nous adaptons cette approche et cette méthodologie en fonction du public et du lieu. Quand on met l’humain au centre, comment savoir ce qui peut se passer pendant les heures que dure un atelier ? La participation aux ateliers transforme nos visiteurs. C’est ce message-là que j’espère diffuser au terme de cette recherche. D’autant que cette option santé transforme aussi ma vie personnelle. Je suis beaucoup plus attentive à l’humain dans mon quotidien. Et, au final, qu’y a-t-il de plus important ? »

Article à lire sur https://www.fondsdanieldeconinck.be/fr/story/un-jardin-qui-soigne/?fbclid=IwAR1tWyRViOW3b_w-gWNtPncB2pvzHKXAeIOQtCys5eQUiTfKQt6bdkizpIw

Un jardin qui soigne – focus sur l’expérience du Jardin Animé

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